Cherbourg Basketball : la pluie avant le beau temps

23/07/2025

"Le Phénix s'est vite imposé comme logo afin de véhiculer les valeurs du club et la symbolique de renaissance sur les cendres de l'ancien." On ne pourrait pas mieux définir la courte histoire de Cherbourg Basketball qui a récemment fêté sa promotion en Nationale 2.


Créé en 1945, l'AS Cherbourg était un pilier du basket amateur en France : implantation durable en NM2, champion de NM3 en 2012/13 et accession en NM2 un an après avoir été relégué, organisation de tournoi international pour les cadets (qui a refait surface cette année), création d'une équipe U18 France pour la saison 2018/19. Impressionnant pour une ville du bout de la Manche peuplée de seulement 70.000 habitants.

Pour connaître la fin de son histoire, il suffit de lire les titres de La Presse de la Manche lors de l'été 2019. Entre août et octobre, le quotidien manchois titre: "L'AS Cherbourg encore sanctionnée", "L'AS Cherbourg finalement rétrogradée en championnat régional", "L'AS Cherbourg Basket, c'est fini !", "C'est officiel : le Cherbourg Basket Ball remplace l'AS Cherbourg".
En quelques mois seulement, l'Association Sportive de Cherbourg disparaît suite à d'importants problèmes financiers. Un an après avoir placé le club en redressement judiciaire, le Tribunal de Commerce de Cherbourg prononce la liquidation judiciaire.

infographie Z.Marvyle
infographie Z.Marvyle


Cette période cauchemardesque ne signe pourtant pas la fin du basket dans le Nord-Cotentin ; sur le site du club, on peut lire 

"le club du CHERBOURG BASKETBALL est né en septembre 2019 grâce à une poignée de bénévoles, passionnés de basketball".

Parmi ces passionnés, on retrouve Mohamed Regbaoui, ancien coach des U18 France et coach de l'équipe première depuis la rétrogradation en Régionale 2. Pourtant sollicité par d'autres structures, Mohamed n'a pas hésité : "J'ai toujours été dans la formation et j'avais envie de passer dans le monde sénior. J'ai vu le projet comme une opportunité pour moi de travailler sur un projet de reconstruction et il y a beaucoup d'affect par rapport au club et à la ville" se confiait-il à notre micro.

photo : Julien Lerebourg
photo : Julien Lerebourg

Ce projet va rapidement se concrétiser puisque pour sa première saison, le CBB est promu en PNM (Pré National) bien aidé notamment par Fabien Omont ; ancien joueur de NM1 avec le Caen Basket Calvados, ce pharmacien de métier est revenu à Cherbourg en 2016 et n'a plus quitté le club malgré la disparition de l'ASC, les offres d'autres clubs, la relégation en championnat Régional. L'intérieur de 2m05 a d'ailleurs récemment mis un terme à sa carrière après une victoire 96-62 contre Betton face à son public lors de la dernière journée du championnat de Nationale 3. Ouest France nous confie cependant que le joueur de 38 ans (qui tourne encore à 10 pts de moyenne) n'était pas contre l'idée de "rechausser ses baskets d'ici quelques mois".

Une reconstruction rapide - "Tu peux clairement faire une croix sur tes vacances"

photo : Julien Lerebourg
photo : Julien Lerebourg

Deux saisons plus tard, Cherbourg retrouve la Nationale 3 après avoir terminé 1er de PNM. C'est lors de l'été qui suit l'accession au niveau national que le club va réussir à faire venir Benke Diarouma. Celui qui est (de très loin) le meilleur scoreur de l'histoire du club (1334 points en 3 saisons) s'est imposé comme un pilier du projet de reconstruction. L'intérieur Malien a participé à la Basketball Africa League (BAL) avec l'AS Police, il a déjà joué avec l'équipe nationale du Mali et il a été MVP de la ligue malienne en 2018. Comment un club comme Cherbourg a réussi à faire venir un gros nom du basket africain ? "C'est un gros travail administratif, tu peux clairement faire une croix sur tes vacances" nous explique Mohamed. "Il cherchait une opportunité pour venir en Europe qui n'arrivait pas et de notre côté, tout le travail de scouting nous a mené à lui. Il y a eu beaucoup de communications par téléphone, on lui a présenté le projet long terme de remonter en N2 puis les planètes se sont alignées, on a aussi eu beaucoup de chance". L'intérieur de 2m01, doté de "grosses qualités humaines" selon son coach, est très apprécié dans la ville, il travaille aujourd'hui dans l'hôtellerie et il souhaite faire venir sa famille à Cherbourg.

Pour sa première saison en NM3, le CBB brille ; 15 victoires pour 11 défaites couronnant une très encourageante 4ème place. Benke Diarouma détruit tout sur son passage en tournant à 18,2 pts de moyenne tandis que Fabien Omont est toujours aussi impactant avec 14,8 pts. Pendant l'intersaison, le club continue sa reconstruction ; les Manchois recrutent Souleymane Berthe et Benoît Curtis Asso'o, deux joueurs qui se révéleront très importants pour la croissance du club et l'accession en NM2.

photo : Julien Lerebourg
photo : Julien Lerebourg

L'ailier malien arrive en France après avoir réalisé de convaincantes performances sur le continent africain. Après avoir remporté la Ligue 1 avec le Stade Malien, il permet à son club de participer à la première BAL de son histoire. A Kigali, capitale du Rwanda, le Stade Malien s'incline en demi-finale face à Al Ahly (futurs vainqueurs) mais remporte le match pour la 3ème place face à Petro de Luanda (Angola). L'ailier est auteur d'une excellente compétition puisqu'il tourne à 16,4 pts, 4,4 rebonds et 4 passes décisives, ces performances lui donnent d'ailleurs des opportunités très intéressantes. "L'année où on le recrute, il est sélectionné pour un camp NBA au Canada." nous explique le tacticien du CBB "mais il s'est blessé pendant la BAL (rupture des ligaments croisés et fracture du ménisque), et il n'a pas joué de toute la saison 2023/24. On n'a pas lâché le projet, on a travaillé pendant 1 an et il nous l'a rendu cette année." L'international Malien pose donc ses valises à Cherbourg et rejoint Benke Diarouma qu'il connaît très bien et qui a d'ailleurs facilité son arrivée dans le Nord Cotentin.

photo : Julien Lerebourg
photo : Julien Lerebourg

Au sortir de la saison 2022/23, Benoît Curtis Asso'o se retrouve sans club malgré son parcours honorable en Espoirs (Cholet et Monaco). Cependant, le joueur originaire de Haute Normandie a évolué sous les couleurs du STB Le Havre en U18 France et en Nationale 3 en même temps que… Lucas Picard, le fils du président de Cherbourg. Son arrivée au CBB est largement facilitée par ce réseau de connaissances, d'autant plus que son profil correspond parfaitement à ce que recherche les Normands. Une excellente opportunité pour ce club isolé géographiquement, "on a une faible capacité d'attractivité car c'est de la N3 et puis c'est difficile de faire venir des joueurs à Cherbourg (ville sans université et sans grandes écoles). Nos déplacements sont toujours assez longs ; on a parcouru 13000km lors de notre première saison en N3". Capacité d'attractivité ou pas, Benoît Curtis brille ; 17,15 points pour sa première saison sous les couleurs bleue et blanche, "Il nous apporte un bol d'air dès son arrivée" nous confie Mohamed Regbaoui. Le meneur sera un artisan majeur de l'excellente saison de Cherbourg qui termine une nouvelle fois à la 4ème place de NM3 avec un bilan de 16 victoires pour 10 défaites.

Cherbourg : une affaire de famille "Sur le dernier match on est 1150 spectateurs et on refuse 300 personnes."

photo : Julien Lerebourg
photo : Julien Lerebourg

A l'intersaison, le club perd plusieurs éléments clés : certains se blessent gravement, d'autres décident de partir comme Cyriack Wittemberg, joueur référencé en NM3 et NM2, qui retourne à Équeurdreville en Pré-National, le club voisin du CBB.
Cependant, le club peut compter sur Lucas Picard ; mentionné précédemment, cet intérieur de 2m06 passé par Le Havre et les Espoirs du Portel a réalisé une grosse saison pour son retour en NM3. A Cherbourg, il rejoint son club formateur mais surtout sa famille. Evan, son petit frère né en 2007 joue parfois avec l'équipe 1 et avec la R3, Anaïk, sa mère, est correspondante et Eddy, son père, est président. Cet aspect familial est une valeur clé dans le club : "on essaye de garder une identité locale au niveau des joueurs, c'est un réel objectif. Ce côté sentiment d'appartenance, convivialité, amour du maillot, c'est primordial" nous explique Eddy Picard, "Sur le dernier match on est 1150 spectateurs et on refuse 300 personnes. On est presque 700 à chaque match et c'est grâce à notre identité club". Cette identité de club, on la retrouve dans toute la ville, Eddy Picard a d'ailleurs un objectif très précis : "On essaye de réunir le nord-cotentin ; sur le dernier match on a fait venir le foot (AS Cherbourg - club de R1) et le hand (JS Cherbourg - club de Starligue). L'objectif c'est de réunir le sport cherbourgeois".

Certains joueurs de l'effectif sont là depuis qu'ils ont commencé le basket, renforçant le côté local et amour du maillot voulu par le club : "Fabien est là depuis longtemps, Maxime (Grand-Guillot) et Théo (Bouquet) sont au club depuis qu'ils sont en U9". Plutôt logique quand on sait que le CBB a récemment reçu le label Ecole française de mini basket, le niveau 3 de formation pour les hommes et le niveau 2 pour les femmes. Le club a également formulé la demande pour avoir à nouveau une équipe engagée en U18 France, mais ça ne sera pas avant 2026/27.

Eddy Picard, président du CBB avec Benoît Curtis Asso'o (crédit photo : Christian Jézéquel)
Eddy Picard, président du CBB avec Benoît Curtis Asso'o (crédit photo : Christian Jézéquel)

Cherbourg Basketball recherche avant tout des hommes, des joueurs qui croient dur comme fer au projet et qui sont convaincus par les ambitions du CBB : "On a aucun joueur sous contrat professionnel, ils travaillent à côté ou au club" nous explique Eddy Picard. "Souleymane s'est fait opérer à Cherbourg, il a fait sa rééducation chez nous, il fait un CPJEPS et il a fait énormément d'efforts dans l'intégration et dans la maîtrise de la langue. Mamadou Diawara est en BPJEPS, Oscar Samoy en Service Civique, ils interviennent sur la formation des jeunes". Ces deux joueurs sont arrivés à Cherbourg pour la saison 2024/25 après la disparition de l'Union Caen Hérouville (ancienne équipe de NM3).

Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin

L'équipe version 2024/25 est prête mais une question se pose : comment gérer les égos face à autant de talents ? Il y a deux joueurs Africains ayant participé à des compétitions internationales, trois anciens espoirs, des enfants du club qui peuvent demander des responsabilités. "Ça peut être source de problème surtout avec des joueurs qui viennent de ligues beaucoup plus élevées que la Nationale 3" nous confie l'entraîneur du CBB "J'ai eu la chance d'avoir des mecs supers et des joueurs très intelligents. On a fait venir des gens qui avaient envie de faire partie de ce projet, mais aussi des gens bienveillants et expérimentés qui ont apporté beaucoup de sagesse".

Cette bienveillance se ressent sur les résultats de l'équipe ; après une courte défaite 92-89 à Brest lors de la deuxième journée de championnat, les Cherbourgeois devront attendre le 18 janvier et 10 victoires consécutives pour s'incliner 73-69 à Betton. Ils gagneront 9 matchs d'affilé après cette défaite et assureront leur montée en NM2 en écrasant leurs rivaux Bretons lors de la dernière journée de championnat.

Le CBB termine 1er de la poule E de Nationale 3 avec 23 victoires en 26 matchs grâce à son collectif bien huilé. En effet, six joueurs sont au-dessus de la barre symbolique des 10 points marqués par match, c'est d'ailleurs une volonté de l'entraîneur : "Je voulais que le danger vienne de partout et ça a été un gros travail en première partie de saison. C'est toujours compliqué de demander à un joueur de moins tirer ou de tirer plus intelligemment surtout dans un groupe aussi talentueux. Mon objectif n'est pas de brider les joueurs mais d'extrapoler leurs compétences et optimiser ce qu'ils font de mieux."

Mohammed Regbaoui entouré de ses joueurs (photo : Naddine DJEBBAR)
Mohammed Regbaoui entouré de ses joueurs (photo : Naddine DJEBBAR)

On peut prendre l'exemple de Maxime Grand-Guillot ; formé au club, ce meneur tourne à seulement 4,5 pts de moyenne mais est décrit par son coach comme "un chien de garde défensif" qu'il n'hésite pas à aligner pour aller perturber le meilleur joueur adverse.

Souleymane Berthé, joueur aux qualités athlétiques hors-normes et au-dessus du niveau Nationale 3 ne score "que" 14,8 pts par match mais n'hésite pas à tout donner en défense et à se transformer en une menace pour l'équipe adverse sur le rebond offensif.

Deuxième attaque de NM3 (+ de 90 points) malgré 29% à trois points (6/20).

Avec un effectif aussi jeune, le jeu de Cherbourg est "basé sur le dynamisme et beaucoup de transition" nous explique Mohamed Regaboui. "C'est une équipe que j'ai voulu agressive avec une défense très haute sur le terrain. Les qualités athlétiques qu'on avait nous ont permis de récupérer beaucoup de ballons, d'être dangereux sur un grand nombre de possessions et de nous rapprocher du cercle". Plutôt facile à mettre en place surtout avec Benoît Curtis Asso'o décrit comme infatigable, bourreau de travail et solide comme l'acier, selon son entraîneur.

"Je voulais un jeu collectif, beaucoup de mouvement, une envie de partager la balle et mener à des tirs à haut pourcentage étant donné que nous ne sommes pas une équipe qui tire à 3 pts". Résultat ? Malgré seulement 6 tirs longues distances marqués par match avec un taux de réussite à 29%, Cherbourg se classe 2ème attaque de Nationale 3 toutes poules confondues. Elle se classe derrière Massy Essonne (1ère de la poule F) pour deux points, équipe dirigée par Thomas Pennelier, coach des U18 France du Paris Basket, récemment médaillé de bronze au Final Four U18 et futur assistant au Telekom Bonn Basket.

La 1ère place est synonyme d'accession en NM2 mais surtout de playoffs. Le club se retrouve cependant dans une impasse ; le calendrier et la logistique rendent impossible la participation aux phases finales de NM3 qui se déroulaient d'abord à Bruay La Buissière (à côté de Lille) puis à Eaubonne en région parisienne. L'effectif manchois s'incline donc lourdement 114-69 face à Courbevoie pour leur seul et unique match de playoffs, mettant tristement fin à leur parcours et à leur saison : "C'était très difficile à vivre pour nous, c'est pas souvent que t'as l'occasion de jouer des phases finales mais le groupe n'y était plus et on savait qu'on ne pouvait pas aller plus loin" nous explique Mohamed Regbaoui "on a des étudiants, des joueurs qui travaillent et c'était impossible pour nous de se présenter à 100% de nos capacités".

Et après ?

Le CBB veut continuer à se reconstruire tout en se développant sereinement. La formation reste un pilier à Cherbourg. On a parlé du projet U18 France mais le club a également signé un partenariat avec la Guadeloupe. L'objectif est de faire venir les potentiels en métropole et de les développer au sein de la structure manchoise.

En NM2, le club devra faire face à des équipes référencées de la division comme Notre Dame de Gravenchon (double finaliste du trophée Coupe de France) ou Cergy Pontoise. Mohamed Regbaoui reste très lucide et réaliste : "En toute humilité, l'objectif c'est de se maintenir, réussir à survivre, s'installer entre le 8ème et la 10ème place pour construire intelligemment sur le long terme" tout comme son président : "Pour nous c'est de la découverte, on va avoir de bonnes et de mauvaises surprises ensemble. L'objectif c'est de se regarder les yeux dans les yeux à la fin et de se dire qu'on a donné tout ce qu'on avait".

Cherbourg, c'est l'histoire d'un club né pour briller, d'une ville prête à tout pour réussir, d'une communauté unie dans l'ombre et dans la lumière, là-bas, on est Cherbourgeois avant d'être basketteur. Chez Planète Basket, on a hâte de voir le club manchois en NM2 l'année prochaine en espérant qu'il continue de nous surprendre. 


À Cherbourg, 

Z. Marvyle- Eps 1 - Immersion